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  • : Créé par l'association Areduc en 2007, Entre Les Lignes propose un regard différent sur l'actualité et la culture en France et dans le monde.
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31 janvier 2008 4 31 /01 /janvier /2008 10:09
                Je viens seulement de voir La nuit nous appartient de James Gray. Bon film, qu’on regarde « avec plaisir », qui est même passionnant, mais qui n’a rien de percutant ou de novateur sous l’angle des idées et des valeurs en jeu.
            Je ne veux pas avoir l’air d’être le pinailleur de service, le père Scrongneugneu du blog, mais les films appartenant à ce registre sont légion ; ils méritent donc d’être observés de près, chaque nuance a son prix.
 
            En ce qui concerne celui-ci, à bien y réfléchir, au-delà de l’intrigue rondement conduite, il y a dans le schéma gangsters/policiers, délinquance/loi tel qu’il est mis en œuvre par J. Gray, quelque chose d’ambigu et même (j’ose le mot) de carrément régressif.
 
            Géographie précise des héros : un père et deux frères, dans des camps opposés. On pourrait dire : voilà un habile renouvellement de la vieille mécanique.
 
            Mais ce renouvellement ne marque pas, selon moi, un progrès dans la psychologie héroïque, ni une avancée estimable dans la réflexion sur les rapports de l’ordre, de la liberté et de la morale.                        Pourquoi ?
            Parce que l’opposition des deux frères – et c’est là le terrain de ma première réserve : l’ambiguïté – est l’occasion de peindre deux milieux. Entre autres, dans des scènes majeures, deux espaces de divertissement comme l’a signalé Josiane, deux bulles festives : celle du Noël de la police et celle du cabaret où opère Bobby, le « mauvais fils »  (enfin, pas entièrement mauvais, mais en tout cas du mauvais bord).
            La comparaison ne laisse pas de doute : d’un côté, on s’enquiquine officiellement. Règne du conformisme, des danses pépères et de la bonne grosse joie. D’ailleurs ça se passe dans les sous-sols d’une église ! De l’autre, côté boîte de nuit, on « s’éclate », dans le bruit, l’alcool, le sexe et la drogue.  Ça crie, ça bouge, ça drague…
 
            Où est l’intensité, cette intensité qui, certes, donne son prix à l’existence ?
Nul ne peut hésiter. Les jeunes spectateurs (les autres aussi) comprennent tout de suite où se trouve l’ambiance branchée, hyper cool et super sympa
 
            De même, il y a deux pères : le vrai père flic et le père de cœur, propriétaire de la boîte. Lequel des deux est le plus chaleureux, le plus affectueux ? Le père d’adoption, la crapule, bien sûr. Le père biologique est, lui, sec, froid, machinal. On a envie de l’aimer comme de se pendre !
            On se dit alors que se glisse, sous le message avoué (la loi doit vaincre, fût-ce tragiquement, la délinquance), un message non-dit et bien moins avouable : « Si tu veux vibrer, va plutôt chez les voyous ! » N’est-ce pas là, d’ailleurs, que Bobby rencontre le grand amour (une entraîneuse), lequel amour  se perdra avec le retour à la loi ?
 
            C’est au fond, de nouveau, l’équation de Caligula : « La liberté est-elle une forme d’amoralité ? » La liberté. Ajoutons ici : le plaisir.
            J’ai relevé, dans un texte antérieur, cette équation comme étant fallacieuse et bien d’époque (tout dérèglement prime sur les propositions éthiques. La « vertu » est mesquine et triste…). Il faut comprendre que cette insistance n’est pas anodine et qu’elle a, sur les esprits, par sa répétition même, des effets qui n’en finissent plus de définir et de tisser la modernité.  
 
            J’observe qu’il faut aller vers d’autres films, plus rares et autrement plus inventifs, pour entendre un son de cloche tout différent et entrevoir une liberté intense, créatrice et enviable. Je pense au film somptueux et bouleversant : la vie des autres, qui est construit tout entier sur l’équation inverse.
            A cet égard, dans le même registre policier, American gangster était mille fois plus fort et plus beau. Donc plus émouvant. La loi y est tenue pour un absolu de justice, occasion d’une autocritique, pour ne pas dire d’une ascèse : le héros renonce lui-même, tout à la fois, à son amante et à la garde de ses enfants, dont il se juge indigne. L’analyse de Valère a bien montré la puissance de ce film et de son dénouement singulier, où se fait une « osmose » entre les adversaires, osmose qui permet « de sortir du système des oppositions et de se retrouver enfin entre humains. »
 
            Dans La nuit nous appartient, il n’y a pas dépassement, conquête (sur soi et avec l’autre), il n’y a pas osmose. Il y a retrouvailles.    
           
Mais j’ai aussi parlé de régression .
            Un père et deux fils : trio par conséquent explicitement familial, dont les liens identitaires, dans l’intrigue, sont tout sauf anodins. Qu’est-ce qui, en effet, ramène le fils prodigue à la loi ? Les liens du sang. Bobby devient traître (aux pourris qui l’ont accueilli), puis endosse l’uniforme de policier, parce que sa famille est menacée, parce que son frère a été attaqué et laissé pour mort, parce que son père (le Commandeur, plus statue qu’homme, nous l’avons dit) est liquidé par la mafia russe.
 
            Alors le fils revient au bercail de la loi. Il faut donc le sang, les liens du sang, pour que la loi redevienne désirable. Vendetta, « sens de l’honneur », héritage moral, on est en plein archaïsme.
 
            En tout cas, la loi ( = tout ce qui fait vivre les hommes ensemble) n’en sort pas grandie. Elle n’est pas montrée comme positivité, dans ce qu’elle permet, dans ce qu’elle préserve, mais comme bouclier, jusque là écarté, récusé, de la famille mise à mal, dernier recours des réflexes patriarcaux. Don Diègue passe le témoin au fiston. « Va, cours, vole et nous venge ».
             Avant que son clan ne soit entraîné dans la spirale de la violence, il est clair que Bobby était, dans la dépravation, comme un poisson dans l’eau, avec promotion en vue pour les services rendus à la cause du vice. Il connaissait, dans sa boîte infâme, la chaude intensité (toujours elle), la réussite financière (professionnelle !) et même l’amour fou. Passons sur l’invraisemblance patente de certains ingrédients …
 
            Là aussi, c’est le vieux schéma. Je répète : avoir recours aux affects les plus basiques pour rendre un peu de lustre à la loi, ce n’est pas faire une grande avancée dans la réflexion éthique. Et justement parce qu’il y a abondance de films dans la partie, on doit moins hésiter à y aller à la loupe et à formuler certaines attentes. Ceci dit, une fois encore, ça fonctionne, on ne s’ennuie pas !
 
            Je finirai sur quelques naïvetés.
 
D’abord, j’ai envie de demander si toute la mythologie qui tourne autour des affrontements gangsters/flics ne commence pas à dater ; s’il ne faudrait pas inventer d’autres terrains d’action, d’autres enjeux, un autre imaginaire moins facile, moins infantile à bien des égards. Est-elle si haute en couleur, la délinquance réelle ? Nos sociétés ne sont-elles vraiment peuplées que de voyous et de flics ? N’y a-t-il de courage et d’intensité que dans ces affrontements cuits et recuits, par ailleurs hautement fantaisistes ?   
            Moi, je vois des étudiants, des P.D.G., des magistrats, des patrons de presse, des politiciens, des animateurs de télé, des clochards, etc. etc.
 
            Fiction pour fiction, pourquoi ne pas concocter de riches et fracassantes intrigues dans ces milieux-là, avec ces personnages-là, dûment typifiés, magnifiés ? Mille dimensions à explorer. Toute une dramaturgie à renouveler. J’en ai l’eau à la bouche. Je pense (au hasard) à Norma Rae, Cadavres exquis, Ressources humaines, Le Couperet… Voilà ce qui doit se multiplier, en remisant un peu les poum-poum au placard.
                                                                                  
                                                                                                          Serge – 15 janvier 2008
             
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commentaires

S
Bout de réponse à Valère : j'ai parlé d'un renouvellement des voies et moyens de l'imaginaire et non d'un enfermement dans le réel. Ceci dit, imaginaire ou pas, il n'est jamais question que du réel ! Comment pourrait-il en être autrement ? C'est comme si on disait ( commodité fréquente ) que l'homme peut produire de l'inhumain. Non, tout ce que l'homme fait est humain, mais tout ne se vaut pas ! Et l'on fait ici retour au jugement, à l'évaluation - retour, qu'on le veuille ou non, à une morale ... Pour le réel, il en va de même : soit c'est un réel pauvre, répétitif, sans imagination ; soit le réel qu'on invente (on l'invente toujours), qu'on travaille (le réel est toujours en travail), est riche d'avenir, neuf, ouvert aux autres. Tel est le renouvellement que j'appelle, à travers les films comme à travers cent autres choses.     
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V
Je tiens à insister sur une chose et non des moindres : la mythologie date toujours puisque c'est sa raison d'être. Un mythe, c'est une histoire ou une image qui traverse les années et les siècles et qui se transforme au fil du temps. Mais il y a toujours une basse continue, un fil conducteur dans un mythe. Nous nous confrontons plutôt à un débat artistique vieux comme le monde : l'art doit-il être engagé ? Serge attend du réel, je plébiscite pour ma part l'imaginaire puisque c'est justement ce qui dure. Il n'y a  pas plus daté qu'un film politique, pas plus cuit et recuit qu'un film engagé. Norma Rae, Cadavres exquis sont les reflets d'une époque, d'un contexte particulier. Mais quel spectateur du XXIème, autre que le cinéphile et le journaliste politique, sera sensible à la situation de Cadavres exquis ? Qui, dans un siècle, parviendra à comprendre les enjeux et les motivations de Norma Rae ? Personne. Il est intéressant de citer Le Couperet. Costa gavras, nourri de polars américains, est convaincu d'avoir fait un film de gangsters. José Garcia est d'un certain point de vue un serial killer : ses victimes ne sont pas des filles blondes mais des cadres et des chefs d'entreprise. Le mythe court chez Gavras comme rarement dans le cinéma français. D'ailleurs peut-on considérer Gavras comme un réalisateur français ? Ce qui fait la force de son cinéma, c'est justement de ne jamais perdre de vue que l'image est avant tout un fantasme et qu'elle ne pourra, au risque de perdre de sa substance, se contenter de décortiquer le réel comme le fait le journaliste. Les mythes sont là pour nous nourrir et créer une continuité entre passé et futur. le réel est là pour nous diviser et nous engluer dans l'éphémère et l'artificiel.    Valère  
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