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  • : Créé par l'association Areduc en 2007, Entre Les Lignes propose un regard différent sur l'actualité et la culture en France et dans le monde.
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Avant toute chose, il nous faut procéder à une définition claire de ce que nous entendons par travail.

 

 

 

Rappelons l’origine étymologique du mot : le travail, en latin, c’est la torture.

 

 

 

La façon de considérer le travail dans nos sociétés est largement tributaire de cet héritage sémantique.

 

 

 

Le travail, c’est ce qu’on est obligé de faire.

 

 

 

Deux conséquences peuvent être tirées de cette affirmation, selon le groupe idéologique auquel on appartient, mais il se trouve que ces deux conséquences reviennent exactement au même.

 

 

 

On peut dire que le travail doit occuper le moins de place possible dans nos vies. On considèrera dès lors qu’une politique du travail progressiste est une politique de réduction du temps de travail. Avec ce présupposé simple que travailler moins, c’est permettre une meilleure répartition du travail dans la société. Travailler moins pour que plus travaillent.

 

 

 

On peut dire aussi que le travail est une des motivations essentielles d’un individu dans la société. Mais alors, on voudra que ce travail soit rémunérateur. Travailler plus pour gagner plus.

 

 

 

Le paradoxe, c’est que cette seconde conception ne revalorise pas davantage le travail que la première. Si l’on veut que le travail rapporte, c’est qu’il doit en quelque sorte être compensé par cette rémunération symbolique qu’est la gratification financière.

 

 

 

Dans la conception intime que chaque individu peut avoir du travail dans la société, on peut donc dire que le travail est dévalué.

 

 

 

Cette crise de la représentation du travail est évidemment proportionnelle à la crise du Système. On ne veut pas travailler dans une société qui dysfonctionne, car alors on a le sentiment de participer par notre activité à alimenter ce dysfonctionnement.

 

 

 

 

 

Mais si l’on change la donne collective, si l’on supprime les inégalités au sein d’une société, que change-t-on à la conception du travail ?

 

 

 

Cette question en soulève une seconde : comment peut-on lever les inégalités sans changer l’organisation du travail, puisque c’est précisément de cette organisation que découlent les différences et les inégalités sociales ?

 

 

 

Rappelons-nous que quand on est confronté à un problème insoluble, c’est que les termes de ce problème sont piégés : « Quel être, pourvu d’une seule voix, a d’abord quatre jambes, puis deux jambes, et trois jambes ensuite ? », demande le sphinx à Œdipe. Le mot jambes est un piège : il désigne à la fois dans la bouche du Sphinx les jambes, les bras et le bâton du vieillard. Le sphinx a donné un indice à Œdipe, en parlant de l’homme comme d’un être « pourvu d’une seule voix ». C’est cette unicité qui est trompeuse. On emploie un seul mot pour dire plusieurs choses. Et on ne se comprend pas soi-même. L’homme doit quitter l’unicité trompeuse, et différencier.

 

 

 

Tout progrès naît d’une différence, c’est un truisme.

 

 

 

Le mot travail est le mot-piège de notre énigme.

 

 

 

Tout le monde s’accordera à dire que si l’on parle du travail au singulier dans notre société, c’est une commodité terminologique et statistique, et qu’il n’y a pas le travail, mais des types de travail.

 

 

 

Et un problème de revenir sans cesse sur le devant de la scène, sur la question de la prééminence du travail intellectuel sur le travail manuel.

 

 

 

Il se trouve que le problème n’est pas là.

 

 

 

Cette différence n’est pas la bonne.

 

 

 

Nous avons dit que la vie est une création. Le premier critère qui doive être considéré pour évaluer le travail, c’est son degré de créativité.

 

 

 

Il y en a un second, lié lui aussi à la vie. Rappelons-le : notre perspective est « tout simplement » vitaliste.

 

 

 

Il y a des métiers plus pénibles que d’autres. Ce point a fait l’objet de débats récents, inutile d’y insister. Il y a des métiers qui raccourcissent la vie plus que d’autres.

 

 

 

La gratification que procure un métier dans nos sociétés est directement liée à ces deux critères conjoints.

 

 

 

Dès lors, nous pouvons établir une typologie du travail selon trois grandes catégories.

 

 

 

1° Les emplois non créatifs et pénibles, qui sont évidemment les moins gratifiants de nos sociétés. Certes, nous ne trouverons dans cette catégorie que des métiers manuels, d’où une généralisation abusive qui peut faire penser à certains que tous les métiers manuels sont non gratifiants. Un balayeur, un manœuvre sur un chantier font un métier pénible, non créatif et non gratifiant. Ce sont les métiers-repoussoirs. « Si tu ne fais rien de meilleur, tu seras balayeur… » Nos sociétés ont développé un haut niveau de technicité qui a permis de diminuer les besoins de main d’œuvre au sein de cette catégorie, mais elles ne les ont pas totalement évacué. Ces tâches demeurent indispensables. On n’a pas encore trouvé de moyen de construire un immeuble en appuyant sur des boutons.

 

 

 

2° Les emplois non créatifs, mais qui ne sont pas pénibles. Ils ne sont pas très gratifiants. Comme la pénibilité est réduite, la gratification est légèrement supérieure : c’est une gratification négative. Au moins, on n’est pas balayeur… Mais on est ouvrier à la chaîne ; on appuie sur des boutons, mais toujours les mêmes boutons, on est un exécutant. On est astreint à un travail de bureau répétitif et totalement programmé, qui ne laisse aucune marge d’intervention personnelle. On le voit, on trouvera dans cette catégorie aussi bien des métiers manuels que des métiers de bureau, des cols blanc et des cols bleus ; preuve que le problème ne réside pas dans cette distinction.

 

 

 

3° Enfin, il y a les emplois créatifs et gratifiants. On est professeur, architecte, designer, ébéniste, décorateur, sportif de haut niveau… Là aussi, métiers manuels et métiers intellectuels se confondent. Ces métiers recèlent en eux-mêmes une source de gratification personnelle. Nous disons bien en eux-mêmes. En effet, dans une société en crise, ces métiers peuvent perdre en partie voire totalement leur aspect gratifiant. Etre professeur dans une société qui génère des inégalités, ne sait plus quelles valeurs transmettre, et promet une bonne partie de ses jeunes à la marginalité et à l’insatisfaction sociale ne présente pas un grand intérêt… Nous le disions plus haut : la preuve que le Système touche à sa fin, c’est que le principe même de la gratification professionnelle est en crise.

 

 

 

Nous dessinons là les grandes lignes de ce qui sera une typologie exhaustive de l’ensemble des professions répertoriées. Il conviendra de déterminer pour chaque profession à laquelle de ces grandes catégories elle appartient.

 

 

 

Dès lors, le principe de la répartition du travail qui s’applique à la Communauté sera une répartition de l’activité de chaque individu entre ces trois catégories, selon les désirs et les capacités de chacun. Nous le disions, il y aura très peu de règles à respecter au sein de la Communauté, mais celle-ci devra l’être sans faille : on ne pourra être membre de la Communauté que si l’on exerce trois types d’emplois, dans chacune de ces catégories. Naturellement, ces professions pourront tourner au long de la vie et au gré des préférences de chacun, notamment en ce qui concerne les emplois de type I, qui ne nécessitent aucune formation particulière.

 

 

 

Mais la répartition aura aussi pour conséquence que le travail occupera une part beaucoup moins considérable qu’aujourd’hui dans la vie de chacun.

 

 

 

Le temps de travail ne sera plus arbitrairement défini par les lois, mais défini exactement en fonction des besoins de la Communauté.

 

 

 

Tous les gens vous le diront : dès lors qu’on impose un temps de travail défini, on perd son temps au travail. On fait ses trente-cinq heures, ou ses quarante heures ou ses cinquante heures s’il convient de montrer à ses supérieurs qu’on est très investi dans le projet de son entreprise, et qu’on ne compte pas son temps. Alors, on joue au solitaire sur son ordinateur, on boit des cafés, on discute appuyé sur son balai, on passe le temps, mais un temps qui n’est pas libre.

 

 

 

Une profession du Système disparaîtra dans la Communauté : celle d’homme ou de femme politiques, puisque tout le monde participera activement aux décisions souveraines au sein de la Communauté.

 

 

 

Un certain nombre de tâches techniques, requérant des compétences spécifiques et une formation poussée, demeureront l’apanage de certains individus. Mais ces individus auront alors, dans l’exercice de cette fonction gratifiante, leur part de travail gratifiant. Ils s’acquitteront en sus d’une profession de type I et d’une profession de type II pour maintenir l’égalité, principe de fonctionnement de la Communauté.

 

 

 

Peu importe le métier que chacun continuera d’exercer dans le Système au début du processus de construction de la Communauté (avant son autonomisation économique). En entrant dans la Communauté, un membre se verra confier des tâches dans ces trois catégories, à proportion de son temps de présence dans la Communauté et de ses disponibilités dans le Système.

 

 

 

Ajoutons une remarque.

 

 

 

Des gens qui aujourd’hui exercent des professions gratifiantes se livrent déjà à des tâches matérielles dans leur existence, qui correspondent à des professions de type I. Ils font le ménage chez eux, ils sont donc homme ou femme de ménage, ils font les courses, ils sont donc livreurs de supermarché…

 

 

 

Etablir la répartition du travail au sein de la Communauté sera aussi le moyen de changer le sens de cette typologie que nous venons de mettre en place. Accomplir des tâches matérielles et pénibles pour le bien de tous et non pour son propre compte pourra être une source de gratification. On oeuvrera pour le bien de la Communauté. On sera tous à nos heures hommes ou femmes de ménage, et c’est chez les autres que nous accomplirons cette tâche, ou dans les espaces communs, tandis que d’autres se chargeront de le faire chez nous. L’espace privé cessera alors d’être ce lieu forclos et solitaire, ce lieu de l’intérêt individuel exclusif, de la tristesse, de la routine et de l’étriqué. Chacun chez soi, oui, mais chez soi, cela pourra être un espace où d’autres auront leur place à des moments déterminés et, naturellement, si on le souhaite. Avoir une femme de ménage ne sera plus un luxe réservé à quelques-uns : ce sera le lot commun.

 

 

 

Voilà qui est très exactement le résultat d’un processus évolutionnaire.

 

 

 

Le temps libre ainsi dégagé (on pourra sans peine, en s’organisant, permettre à chacun de ne travailler que trois jours dans la semaine au total) sera une satisfaction de l’Ancien monde que l’on étendra dans la Communauté. Mais on aura aussi changé la vision du travail, qui ne nous dressera plus les uns contre les autres, dans notre confort ou notre inconfort personnel, dans notre satisfaction honteuse ou nos frustrations professionnelles et sociales. Le travail deviendra le processus même de la vie communautaire.

 

 

 

On gagne du temps libre et on gagne le travail.

 

 

 

On ne gagne pas d’argent : on gagne de l’intensité d’existence.

 

 

 

Un organe central devra être créé (où se relaieront à tour de rôle tous les membres de la Communauté) qui définira l’emploi du temps de chacun, en tenant compte de ses désirs, mais aussi des exigences communautaires.

 

 

 

Une fois encore, seule la liberté d’entrer et de sortir de la Communauté garantit qu’un tel système ne sera pas totalitaire. L’enfer est, on le sait, pavé de bonnes intentions.

 

 

 

Si l’on veut en être, alors on doit accepter le principe de la répartition du travail.

 

 

 

Si l’on préfère le Système dans ces derniers jours (qui pourront être encore des années ou des décennies : nous sommes lucides, mais pas devins), on peut sortir de la Communauté.

 

 

 

Il y aura des règles, il y aura des obligations dans la Communauté, le moins d’obligations et le moins de règles possibles, mais ces règles, ces obligations seront toujours consenties librement par chacun des membres. On peut arrêter le jeu quand on le souhaite.

 

 

 

Mais on aura alors beaucoup plus à perdre qu’à gagner.

 

 

 

C’est sur ce pari que nous fondons notre projet.

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