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5 mai 2008 1 05 /05 /mai /2008 09:09

 

            Il est temps peut être de prendre la plume et de mettre un terme aux mensonges et à la mauvaise foi. Il est temps peut être aussi de clarifier le débat sur la violence et de soulager les consciences. Je viens à vous pour vous proposer un remède contre le conformisme et la schizophrénie.

 

1°- Mise en situation

 

La famille Bouchard est réunie devant un écran de télévision. Le programme a posé problème. Documentaire sur les baleines bleues pour papa ? Comédie sentimentale pour maman ? Le dernier film d’heroïc fantasy pour les enfants ? On a failli voter. Mais le père, démocratiquement, a pensé qu’il était temps de sensibiliser les enfants au sort des baleines bleues. Les enfants ont beaucoup pleuré. La mère est intervenue. On a fini par regarder Pilou, le dernier chasseur de dragons. Le silence, consensuel et sécurisant, est revenu dans le salon. La première partie s’est déroulée correctement. Pilou est un jeune garçon méritant. Il a un pote dragon avec une grosse tête de chat. Il est très sympa. Il s’appelle Pouli. Le père a soufflé un peu quand l’énième combat en images de synthèse s’est amorcé. Mais après tout, peut être que le massacre inutile des gentils dragons sensibilisera ses enfants au sort des baleines bleues. Finalement, et le père esquisse un sourire satisfait, le monde est bien fait. Quel que soit le programme, le message délivré est le même. Le père pourra d’ailleurs citer les mots pleins de sagesse de Pilou (ou est-ce Pouli le dragon qui parle ?) lorsque ses enfants se chamailleront : « Il ne faut pas faire preuve de violence. La guerre n’engendre que la guerre. » Ses belles paroles prononcées, le film est interrompu par une petite page de publicité. Pilou et son dragon sympa ouvrent la voie à Mercedes, à Quick, à Chanel pendant quelques instants. Et puis brusquement. Le drame. Le père sort de sa torpeur. La mère se crispe. Le teaser de La colline a des yeux d’Alexandre Aja s’impose à l’occasion de sa sortie DVD. Le film est violent. La chaîne sait que la famille Bouchard, amateur des aventures de Pilou le dragonnier, n’achètera pas ce DVD mais on ne sait jamais. Il y a bien quelques réfractaires. Quelques futurs autres consommateurs plus teigneux. La mère masque brusquement les yeux de ses enfants. Le père lève le poing. Comment osent-ils à cette heure de grande audience ?  

L’esprit moral et révolté du père s’est réveillé. L’instinct protecteur de la mère a parlé. Ils ne se sont pas aperçus qu’il a fallu attendre cette bande-annonce pour qu’ils se révèlent enfin à eux-mêmes et sortent des brumes qui les avaient envahis tous les deux en compagnie des dragons. Trois secondes d’électrochoc, de prise de conscience pendant lesquelles les parents Bouchard ont été extrêmement présents et vivants. Les enfants n’en sont pas revenus. Ils n’ont jamais vu leurs parents comme ça. Ils garderont dans un coin de leur tête l’intensité qu’a pu provoquer cette bande annonce.        

 

            2°- Analyse

 

Dans cette situation volontairement caricaturale (quoique…), il y a un nombre incalculable d’éléments à interpréter.

Le premier point est selon moi le cloisonnement que la société nous impose et provoque pour nous diviser. Le fameux « chacun a son programme » ne révèle aucune préoccupation libertaire. Il faut unir la masse en apparence (le fameux nivellement pseudo-démocratique) mais surtout générer et entretenir des murs entre les générations, entre les sexes pour limiter le champ des individus et faire de leur être la représentation d’une éternelle classe à perpétuer. C’est le jeu des stéréotypes, des clichés que les gens dénoncent si facilement mais auxquels ils appartiennent. Le film de guerre viril pour l’homme, le mélodrame pour la femme, les films d’animation pour les enfants. Avec ces catégories que les studios entretiennent farouchement, chaque individu se sent tout en même temps flatté par sa singularité (l’homme conserve sa virilité, la femme sa sensibilité) et rassuré par son appartenance à un groupe soudé et uni. La stratégie la plus habile étant à présent de mêler au sein d’un seul et même film ces aspirations en apparence divergentes. Il y aura la scène pour le père (la grosse bataille pour la survie de la patrie), celle pour la mère (l’étreinte dans la pénombre du corps musclé du héros contre la poitrine de l’amante) et celle des enfants (un peu féerique, avec le compagnon du héros aux répliques marrantes) Dans nos sociétés totalitaires raffinées, il faut veiller à ce que chaque forme de singularité nous rattache davantage à un groupe déjà établi.

Le deuxième point sera bref. Il est selon moi le plus évident. Les parents cèdent aux caprices de leurs enfants non pas par faiblesse mais parce qu’ils n’ont rien à leur opposer. Comment un père, même très habile, parviendrait-il à faire croire à cet engagement mou et flottant qu’est pour lui l’écologie ? La mère sait qu’elle ne peut imposer à personne d’autres qu’à elle-même ces drames creux et larmoyants dont elle se repaît quotidiennement. Quand la passion est inexistante, la flamme reste entre les mains des enfants qui demeurent toujours plus frais et vivants que leurs spectres de parents. Place donc à l’infantilisme lorsque le monde des adultes est vide et désincarné.

Mon troisième et dernier point, celui qui m’est le plus cher, concerne l’épisode de la bande-annonce. La famille Bouchard, je vous le rappelle, avait trouvé un consensus dont on a dévoilé les véritables tenants. Les parents avaient cédé, faute de mieux, aux niaiseries mouvementées de leurs enfants. Et puis, brusquement, la bande d’annonce d’un film d’horreur bondit de l’écran. C’est, je crois, le schéma qui suit cette découverte qui est intéressant. Procédons avec ordre. D’abord, la rupture. Une succession d’images choquantes vient interrompre la léthargie collective. La première réaction est en réalité la plus intense. Les réalisateurs de films d’horreur n’ont jamais cherché autre chose que briser le cocon, mettre les êtres sous-tension. Les Bouchard, sans le savoir, par cette rage qui intuitivement est née en eux, répondent précisément aux aspirations des réalisateurs : provoquer une réaction. Ce n’est pas le documentaire sur les baleines bleues qui sensibilisent. D’ailleurs monsieur Bouchard aurait dormi de la même façon que devant Pilou le dragonnier. La colline a des yeux réveille en quelque sorte leur sensibilité. Il a fallu attendre la distorsion du réel, la brutalité des couleurs et des mouvements d’appareil pour retrouver la vigilance des Bouchard. La violence favorise la prise de conscience. Laquelle me direz-vous ? Quelle est la dimension civique d’un tel film ? Je dirai contre toute attente que la force du film d’horreur est de faire réagir sans délivrer aucun message. J’ai dit qu’il nous mettait sous-tension. Il ne s’agit pas pour ces réalisateurs de nous assommer de nouveau avec des formules toutes faites, des idéaux consensuels. La générosité de ces films consiste à nous réveiller, à briser l’inertie de nos vies gratuitement. Nous sommes à l’antipode des révolutions. Quoi de plus navrant que de renverser un régime totalitaire pour un autre ? La violence du film d’horreur moderne nous laisse tendu mais libre (et non pas vide) Libre de s’emporter, de crier notre désarroi, notre rage comme les Bouchard, mais aussi de comprendre qu’il n’y a rien de plus stimulant que de sentir le vide sous nos pieds et de se dire qu’on en est responsable. Camus disait : « La plus grande liberté de l’écrivain serait de se dire qu’il pourrait très bien ne pas écrire. » Le film d’horreur nous démontre qu’il n’y a pas de plus grande liberté que celle de se détruire soi-même. Démontrer ne veut pas dire inciter. Camus ne demandait pas à l’écrivain de cesser d’écrire. Il en était un lui-même. Ressentir la mort et la destruction, c’est brusquement retrouver l’essence même de la vie. Serait-ce un lieu commun de dire que les films de guerre sont toujours des films humanistes ? Le véritable message du film de guerre n’est pas de dénoncer la barbarie (en ce cas, un seul film aurait suffi) mais plutôt de recréer ce besoin vital de chaos, cet état de lutte salvateur qui rend le retour à la paix (et à la lumière du jour) si euphorisant. Ne négligez jamais le pouvoir cathartique de l’image. Dirait-on aujourd’hui des tragédies de Racine qu’elles sont morbides et malsaines ?

La main qui a caché les yeux de l’enfant est en réalité celle d’un schizophrène. Elle a voulu réprimer l’unique bouffée d’oxygène de la soirée. Elle a refoulé cette intensité qui naissait au contact de ces images. M. Bouchard n’aura jamais été aussi vivant et intéressant pour ces enfants que lorsqu’il hurlait devant la télévision, la mère aussi belle et sensible que lorsqu’elle était terrifiée. M. Bouchard dira plus tard que cette violence répressive qui est montée en lui (cette haine qu’il a crachée à l’écran) fut pour lui une expérience détestable. Il n’aura pas conscience de plonger dans la schizophrénie : c’est-à-dire s’inventer un double maléfique dont on n’est pas responsable. Car chez les Bouchard, ce n’est pas seulement le conformisme qui règne en maître mais la peur. Cette trouille laide à voir qui résonne lorsque notre monde est chamboulé, lorsqu’un éclair de lucidité nous traverse et qu’on prend enfin conscience du caractère dérisoire de nos existences.    

 

3°- Les conséquences…

 

Cette lutte schizophrénique du conformisme ne date pas d’aujourd’hui : elle est vouée à se perpétuer. La peur nous hante inlassablement. Elles génèrent en nous des frustrations. Songeons un instant aux enfants Bouchard. Ils auront gardé en mémoire la réaction si vive de leurs parents, cette tension si excitante qui a fait battre leur cœur plus vite. Ils n’auront de cesse de découvrir le film d’Alexandre Aja. Ils braveront les interdits, se persuaderont qu’ils sont plus courageux et plus ouverts que leurs parents. Ils finiront bien sûr par le voir. Ils seront terrifiés. Terrifiés non pas de la violence des scènes (pourtant bien réelle) mais de découvrir que les personnages défigurés par les radiations ressemblent étrangement aux ogres et autres créatures abjectes qui peuplent les contes de leur enfance. Ceux que les parents Bouchard leur lisaient en souriant avant de s’endormir. La découverte du film d’Aja aura permis de leur révéler la bêtise de leurs parents et leur incohérence. Mais (Car il y a toujours un mais) une douleur étrange et tenace se fera sentir au bas ventre. Ils porteront la main à leur estomac et découvriront qu’ils ont peur. Peur d’avoir vu un film aussi violent. Ils rendront le DVD en cachette au distributeur du coin et se promettront de ne jamais en parler aux parents. Ils seront à leur tour devenus conformes et schizophrènes     

 

Valère Trocquenet

 

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