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28 avril 2009 2 28 /04 /avril /2009 11:40

WENDY ET LUCY                                               DANS LA BRUME ELECTRIQUE

De Kelly Reichardt                                                                       De Bertrand Tavernier

 

De l'autre côté de l'Atlantique, il y a aussi des intellectuels qui ont de l'exigence. Ils ne sont d'ailleurs pas forcément mexicains ou canadiens, mais bien américains ! Parfois les américains prouvent qu'ils ne sont pas tous débiles comme souvent en France on le croit. Et parce que notre anti américanisme primaire de ces dernières années s'endurcit et se banalise, ces preuves en œuvre passent inaperçu ici. Pour pousser l'énervement des bons franchouillards pleins de préjugés tombant souvent des nues quand ils ont à faire à ce type d'événement, je vais aller jusqu'à dire que lorsqu'un réalisateur français va filmer les américains en détresse, c'est beaucoup moins intéressant et surtout moins exigeant que lorsque c'est fait par un(e) américain(e) !

 

EXIGENCE !!!

 

Wendy (Michelle Williams) et Lucy ont pris la route depuis l'Indiana pour aller en Alaska. Dans l'Oregon, leur voiture tombe en panne. Wendy compte ses quelques deniers, attache Lucy à la sortie d'un magasin et vole pour donner à manger à Lucy. Wendy se fait prendre. Quand elle revient de la Police, Lucy n'est plus là. Elle s'est laissée embarquer par on ne sait qui, on ne sait où. Wendy va tout faire pour retrouver sa compagne Lucy.

 

En Louisiane, Dave Robicheaux (Tommy Lee Jones) enquête sur une série de meurtres. Il rencontre un acteur alcoolique et sa copine, un producteur dégueulasse, des morts... lui-même était alcoolique, et avec cette enquête qu'il mène, il a l'impression de devenir fou, tiraillé entre ses grands principes moraux et sa rage non maitrisable.

 

Quel lien ? Voici un petit extrait d'une interview de Kelly Reichardt par David Hurll : « Pour Wendy et Lucy, Jon (Raymond, auteur de la nouvelle dont s'inspire le film, il y est par ailleurs co-scénariste) et moi sommes partis de l'idée répandue aux Etats-Unis, que si vous êtes pauvres, que si vous ne réussissez pas, c'est que vous êtes paresseux. L'ouragan Katrina a été un des éléments déclencheurs de notre projet. Après cet événement dramatique, on s'est demandé comment les gens qui n'ont pas d'aides peuvent franchir l'étape qui les aidera à sortir de la pauvreté. Quand on n'a pas de filet de sécurité, comment fait-on pour ne pas partir à la dérive ? ».

 

Le lien est donc cet événement Katrina. Si le Tavernier prend place en Louisiane, le Reichardt se place géographiquement à l'opposé, juste en dessous de l'Etat du Washington.

La différence est que le film prenant place au milieu du désastre Katrina, bien que mis en scène par un réalisateur venu de loin, ne montre que des gens perdus au milieu des morts : des alcooliques, des gens allant mal, se frappant violemment, ne se parlant que pour se dire qu'ils n'ont rien à échanger. D'où la seule belle scène du film, au bord de l'eau, avec le dialogue de sourd consistant à parler de la « notion de compréhension » - qui d'ailleurs est plutôt un monologue proféré par une personne sous LSD...

Reichardt opte quant à elle pour le non-dit. En restant loin du désastre elle garde à distance toute parole. Il y a peu d'échange. Mais les échanges sont de vrais échanges : Je te prête mon portable si ça peut t'aider. Je te paie un café, parce que j'ai une mauvaise nouvelle et qu'il est bien tôt...

 

La différence est donc dans le choix des personnages. Une catastrophe a eu lieu et laisse des milliers de gens dans la merde. Quel point de vue peut prendre le metteur en scène : que tout le monde se bourre la gueule, ou bien que dans cette errance, on a un devoir d'exigence et de présenter l'humanité dans ses vrais rapports d'entraide, aussi simplistes qu'ils soient ? Du coup, les différences d'exigences envers l'humanité deviennent perceptibles dans la mise en scène, et les moyens employés.

 

Mercredi soir, Monsieur Tavernier est venu au cinéma Le Vincennes présenter son film. Il a beaucoup parlé des conditions de tournage : « ce n'est pas parce que vous êtes aux Etats Unis que le matériel est bon. Mon chef opérateur me disait que s'il tournait un film au Maroc, il aurait du meilleur matériel. On nous a donné une voiture travelling qu'en France on aurait refusée ».  Voici qui pour moi expliquait en partie les cadrages lamentables de son film. Les tremblements sur les travellings, les saccades dans quasiment tous les plans... Mais j'ai aussi vu Wendy et Lucy, fait sans moyens et pourtant propre : « tout le monde travaille gratuitement, les dépenses au départ sont très restreintes. La plupart du temps on tourne en extérieur, avec très peu d'équipement. Là où je tourne en Oregon, il y a tout un petit groupe (...) qui travaille toujours sur mes projets avec un budget sur deux semaines. Ce n'est pas courant de travailler de cette manière dans le cinéma américain, d'avoir cette approche collective ». Wendy et Lucy a très certainement coûté cent fois moins cher que Dans la Brume... Et pourtant il y a une exigence du cadre, de la lumière qu'il n'y a pas dans la Brume. Si tous le monde s'accorde à dire que la lumière dans La Brume est magnifique, elle n'est rien car les cadres et les mouvements d'appareil (dont le chef opérateur est responsable) sont pourris. Tandis que Wendy et Lucy est tourné à mon sens très souvent en lumière naturelle. L'équipe technique image se réduit à deux personnes (d'après le générique). Et les scènes de nuit y sont plus belles, plus poétiques, envoûtantes. Parce qu'il y a là une exigence de l'image qu'il n'y a pas sur le Tavernier. Cette même exigence de questionnement à partir du choix des personnages et donc de comment les filmer se différencie sur deux projets qui ont pourtant tout à voir dans le fond : comment ne pas partir à la dérive, ne pas devenir fou, et réfléchir donc, dans ces moments difficiles, à des questions qui peuvent peut-être apporter du bien, si elles sont bien posées.


Monsieur Tavernier, regardez ce petit bout de pellicule qu'est Wendy et Lucy, et voyez comment on parle de la violence d'une société. « J'espère que les questions posées par le film sont : qu'est-ce que l'on peut faire pour les autres ? Qu'est-ce que chacun doit aux autres ? Sommes-nous reliés, unis, ou est-ce que c'est chacun pour soi ? » (K. Reichardt).

 

Il est dommage Monsieur Tavernier que vous n'ayez pas fait rencontrer Wendy à Dave Robicheaux, il en aurait plus appris sur ce qu'est avoir de la morale, et d'être exigeant.

 

Pascal Leroueil


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